Graine d’ANANAR ! (lundi, 04 avril 2016)
J’étais en noir.
Une jupe courte sous le soleil.
Les montagnes avaient cette couleur bleu-brume qu’elles prennent par beau temps.
Le monde attendait devant la maison.
Bien sur je ne pleurais pas. Ma sœur non plus. Cet air comme ça de tenir les émotions en exil ; de qui le tiendrait-on ?
Les enfants vadrouillaient dans ce ramdam, stoïques et curieux, la lignée terrible. Ils avaient dormis au-dessus de leur arrière grand-père dans sa boite, tandis qu’en bas les filles veillaient leur père. Enfin non lui, il n’étais plus là. Cela se voyait qu’il n’était plus dans sa peau.
Comment auraient-elles pu lui éviter l’église ? Et où on l’aurait rangé au cimetière ? Paquita, sa femme était dans la terre sous une croix en face du champs de blé comme elle souhaitait. Lui il voulait un caveau, pour tout le monde. Il fallait bien quelques concessions de part et d’autres !
Ils sont venus avec leurs drapeaux. C’était un vieil espagnol avec un sale caractère mais aussi un vieux combattant : sa carte de résistant, il l’avait. Donc ils sont venus avec leurs drapeaux comme du bout des lèvres.
A l’église, vivant, il n’y entrait pas. Il attendait devant. Ou parfois pour les grandes grandes occasions, il se mettait dans les bancs du fond. Attention pas au milieu : au bout du bout du banc le plus près de la porte !
Ma sœur et moi chantions dans la chorale vu que l’autre grand-père, celui qui habitait face à l’église, avec la religion il rigolait pas une seconde.
On attendait que les hommes sortent, sur leurs épaules, le cercueil de la maison. Je suis allée cherchée une rose de mamie. Il en restait un tout vieux pied dans le jardin. J’ai mis la rose à ma boutonnière. Je suis revenue en disant quelque chose comme « On peut pas faire comme si !» Je ne sais pas quelle part de coquetterie et de pauvre provocation je mettais la-dedans. Ma marraine est allée piquer des roses rouges je ne sais où, elle en a donné une à ma tante à ma sœur. Une voisine a fait sa choquée : « c’est du manque de respect ».
Il y a de ces imbéciles parfois.
Toutes en noires avec nos fleurs rouges.
Même quand il était malade, je n’ai pas été fichue de le prendre dans mes bras.
Pas des choses qu’on nous a appris.
Là, j’étais tellement ta petite-fille pourtant.
« Franco con todas sus fuerzas declaro la guerra a España... » Vincent Solano (1908-1997)
Dans le cimetière du village, il y a « Abuela, » : mon arrière grand-mère, ma grand-mère, et les deux grands pères.
La famille s’implante !
Graines d’ananars...
(c) mh,
[Marie-Hélène Banet]
C'est pas la version que je passe en boucle mais ça donne une idée...
A lire : « Les camps sur la plage, un exil espagnol » Éditions autrement
Affiches anarchistes extraites du site: http://sha.federation-anarchiste.org/mot6.html
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Commentaires
les fleurs rouges posées sur la lacheté du qu'en dira-t-on, il était là avec toi,
bise
"Cet air comme ça de tenir les émotions en exil ; de qui le tiendrait-on ?"
"ils sont venus avec leurs drapeaux comme du bout des lèvres."
... touchée tout droit..
Écrit par : rougekiwi | lundi, 17 octobre 2005
Por Dios !!! Del sangre español dans tes veines ???Ooh, nous avons des choses en commun...Et puis un ananar j'en ai un vrai sous mon toit ..Ton texte m'a émue
Écrit par : innamorata | lundi, 17 octobre 2005
Je suis toujours + ou moins fière de ce que tu écris mais là c'est
parfait Papy serait si fier de toi lui aussi. Bravo je t'embrasse
Signé: Qui tu sais.
Écrit par : BANET | mercredi, 13 février 2008
Je m'autocommente.
Je publie à nouveau ce texte. Il me fait du bien. J'ai besoin de ne pas oublier.
Écrit par : mh | mardi, 01 décembre 2009
Finalement cela avait du bon peut être de vivre comme en Espagne 3 générations sous le même toit sauf que nous n'avons pas su en tirer la substantifique moelle et quand on arrive en âge de penser que peut être il faudrait questionner el abuelo sur cette période on a quitté le nid et lui n'a pas plus envie que cela d'en parler, comme d'autres qui ne nous parlerons jamais de l'Indochine ou l'Algérie.
Fière d'avoir un grand père anar mais nous on fait quoi derrière pour suivre la voie?
Faut il avoir vécu des évènements si affreux pour que nos enfants soient fiers de nous un jour?
Écrit par : BB | mardi, 01 décembre 2009
A moi aussi cela a fait beaucoup de bien de relire ton texte et je suis d'accord avec qui nous savons Papy serait si fier de toi!
Moi j'ai un peu honte de ne pas avoir su lui monter la fierté que je ressentais pourtant.
J'ai voulu les drapeaux car après celle d'Espafne il a combattu dans la résistance en France non parce qu'il aimait guerroyer mais car ce pays l'avait accueilli.
Écrit par : banet solano | jeudi, 03 décembre 2009
Oui, je réponds à BB. mais nous que fait-on pour suivre cette voix.
Je ne sais pas.
Je ne risque pas grand-chose là derrière la boite. Mais bientôt cela devriendra peut-être un délit d'écrire ce que l'on pense sur L'Internet.
écrire, j'ai toujours considéré que c'était déjà un peu se battre. Mais il y a plein d'autre manière... bien avant de prendre les armes.
Moore ils proposent ça:
Certes c'est les états Unis c'est pas l'anarchie mais bon: http://www.bastamag.net/spip.php?article751
Écrit par : mh | lundi, 07 décembre 2009
LE texte qui me fait du bien !!!!
Raf !!!!
Écrit par : mh, | jeudi, 20 mai 2010
hélas en Espagne,le juge Garzon risque d'être condamné pour avoir voulu faire juger les criminels franquistes (et Pinochet). Ce n'est pas rassurant pour l'avenir de l'Europe!
Écrit par : Marie | jeudi, 20 mai 2010
Très émue à la lecture du texte; j'étais a nouveau a ce jour ou tout fini, ou tout commence aussi. J'ai aussi un regret ne pas avoir ses mémoires a laisser aux enfants et aussi à moi même. Je ne vais pas souvent les voir; mais je pense très très souvent a eux et suis fière de mes parents. Je me souviens aussi d'allouela qui me jetais une couverture sur moi, tranquillement allongée en maillot de bain, pour prendre quelques couleurs. tant de souvenirs de chacun; cela fait du bien de les retrouver. Merci pour tes beaux écrits.
Écrit par : rosy | lundi, 25 février 2013
et aujourd'hui, sous les ombres des tilleuls ils veillent, et moi je ne me lasse pas d'écouter leurs murmures, lorsque le soleil endort les âmes à l'heure de la sieste...
Écrit par : pablo Robinson | dimanche, 25 janvier 2015