Graine d’ANANAR ! (lundi, 04 avril 2016)

medium_arton26.jpgJ’étais en noir.
Une jupe courte sous le soleil.
Les montagnes avaient cette couleur bleu-brume qu’elles prennent par beau temps.
Le monde attendait devant la maison.
Bien sur je ne pleurais pas. Ma sœur non plus. Cet air comme ça de tenir les émotions en exil ; de qui le tiendrait-on ?
Les enfants vadrouillaient dans ce ramdam, stoïques et curieux, la lignée terrible. Ils avaient dormis au-dessus de leur arrière grand-père dans sa boite, tandis qu’en bas les filles veillaient leur père. Enfin non lui, il n’étais plus là. Cela se voyait qu’il n’était plus dans sa peau.

Comment auraient-elles pu lui éviter l’église ? Et où on l’aurait rangé au cimetière ? Paquita, sa femme était dans la terre sous une croix en face du champs de blé comme elle souhaitait. Lui il voulait un caveau, pour tout le monde. Il fallait bien quelques concessions de part et d’autres !

Ils sont venus avec leurs drapeaux. C’était un vieil espagnol avec un sale caractère mais aussi un vieux combattant : sa carte de résistant, il l’avait. Donc ils sont venus avec leurs drapeaux comme du bout des lèvres.

A l’église, vivant, il n’y entrait pas. Il attendait devant. Ou parfois pour les grandes grandes occasions, il se mettait dans les bancs du fond. Attention pas au milieu : au bout du bout du banc le plus près de la porte !
Ma sœur et moi chantions dans la chorale vu que l’autre grand-père, celui qui habitait face à l’église, avec la religion il rigolait pas une seconde.

 

On attendait que les hommes sortent, sur leurs épaules, le cercueil de la maison. Je suis allée cherchée une rose de mamie. Il en restait un tout vieux pied dans le jardin. J’ai mis la rose à ma boutonnière. Je suis revenue en disant quelque chose comme « On peut pas faire comme si !» Je ne sais pas quelle part de coquetterie et de pauvre provocation je mettais la-dedans. Ma marraine est allée piquer des roses rouges je ne sais où, elle en a donné une à ma tante à ma sœur. Une voisine a fait sa choquée : « c’est du manque de respect ».medium_j0109.2.jpg
Il y a de ces imbéciles parfois.
Toutes en noires avec nos fleurs rouges.

Même quand il était malade, je n’ai pas été fichue de le prendre dans mes bras.
Pas des choses qu’on nous a appris.
Là, j’étais tellement ta petite-fille pourtant.

« Franco con todas sus fuerzas declaro la guerra a España... » Vincent Solano (1908-1997)

Dans le cimetière du village, il y a « Abuela, » : mon arrière grand-mère, ma grand-mère, et les deux grands pères.
La famille s’implante !
Graines d’ananars...

 

(c) mh,

[Marie-Hélène Banet]


C'est pas la version que je passe en boucle mais ça donne une idée...


A lire : « Les camps sur la plage, un exil espagnol » Éditions autrement

Affiches anarchistes extraites du site: http://sha.federation-anarchiste.org/mot6.html

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