Chaud – froid* de mh (mercredi, 25 mai 2005)

Il pleut. Je pourrais dessiner des bonhommes sur la fenêtre en face du fauteuil tellement il y a de buée sur les vitres. Au travers, j’aperçois le ciel gris noir. J’entends le bruit des voitures. Ivanhoé ronronne sur mes genoux. Un carré de chocolat, et des mandarines font parvenir des effluves agréables jusqu’à mon nez à peine bronzé. Je ne vais pas tarder à aller chercher un mug de thé rouge encore chaud dans la théière en forme de crapaud sur la plaque électrique.

- Alors ces vacances ?

- Tu as des nouvelles de Rachel ?

- Oui mais toi tes vacances ? Tu as vu ce temps pourri. Depuis un mois il fait mauvais. Presque depuis que tu es partie… On voit bien que tu reviens de vacances tu as sans arrêt un sourire un peu imbécile sur le visage.

- Ah oui ?

- Tu sais ce que tu es mh, une égoïste. Juste une petite carte en un mois et là tu es muette comme une carpe.

- Qu’est-ce que je suis bien, Jorgue !

- Hein ?

- Tu crois qu’écrire c’est jouer du piano sur le clavier ?

Jorgue pose une main médicale sur mon front et se baisse pour observer mes prunelles.

- Tu n'as pas assez dormi mh.

- Ou j’ai trop mangé de bananes…

- Tu me racontes où je t’assomme ?

- L’eau était transparente et dessous, j’ai vu des poissons de toutes les couleurs, mais mon masque prenait l’eau alors si la mer bougeait un peu, ça me piquait les yeux et je ne voyais plus rien !

Jorgue me regarde et se tait. Il serre sa bouche en cul de poule. Cela ne lui va pas bien.

- Tu es une grande dingue mh.

- T’es jamais content. Je te raconte et tu me dis que je suis folle !

Jorgue s’assied sur le canapé tout mou et consent à boire du thé rouge. Il pousse un soupir. Il lâche d’une voix désespérée :

- Vas-y, je t’écoute.

Comment puis-je, en quelques mots en une dizaine de phrases, avant qu’il ne se lasse ou me traite à nouveau de folle.

- Sur la plage où j’allais avec ma tante, des rochers noirs s’avançaient dans la mer à gauche. Entre les rochers noirs et le sable blanc de la plage il y avait un trou d’eau transparente, comme une piscine. Parfois nous étions presque seules. Juste quelques mères avec leurs touts jeunes enfants. Des pères qui apprenaient à nager à de plus grands. Moi qui me laissais regarder par les poissons avec mon masque jaune qui prenait l’eau et le tuba qui ne tenait pas. Sur la plage, les arbres se penchaient vers l’eau comme pour nous abriter du soleil. Je regrette le hamac que je n’y ai pas accroché…

Jorgue ne fait plus de grimace. Il vient de boire une gorgée de thé rouge. Le mug qu’il serre dans sa main gauche semble y disparaître. Il ne me regarde plus l’air pincé. Ses yeux sont fermés.

- Je t’ennuie ?

- Continues mh et ne m’agace pas.

Je pose Ivanhoé sur le bureau et je vais m’asseoir sur le canapé près de Jorgue.

- C’est vrai tu veux bien, je ne t’agace plus ?

Jorgue pose le mug sur la petite table pliante orange, et prend ma main dans la sienne encore chaude.

- Non mh.

- Je suis contente d’être revenue.

- Tu m’as manqué, dit Jorgue.

Puis il plaque une bise bruyante sur ma joue pâle d’étrange vacancière et se lève comme si ma peau l’avait brûlé.

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*Chaud-froid n. m. Volaille ou gibier cuit, servi froid, nappé d’une sauce à base de gelée. Des chauds-froids. (Hachette)

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