Dehors il pleut, un ciel gris foncé, brumeux. Je trempe mes lèvres dans le thé bouillant, ma première gorgée du matin. J'ai pris une décision. Je ne suis pas sûre qu'elle soit bonne mais je l'ai prise. Je suis plus légère d'un homme et plus consistante d'une décision prise, sans que le couteau ait été posé sur ma gorge. Il y a une joie à se dire que nous maîtrisons un peu notre vie, que nous ne sommes finalement pas si étrangers à nous même.

Tiens, comme cela me plaît que la pluie tombe à grosses gouttes.

- Malie, je crois que je serais dans une autre vie quand il comprendra.

- Tu te fais des illusions mh, il faudra qu'il renaisse en femme pour comprendre.

Quelle importance en réalité la compréhension ? Il est question de l'harmonie de deux peaux. Il est question de ne jamais baisser l'armure. Il est question d'une sorte de maintien des forces, du respect que l'on se doit.

- Jorgue, qu'est-ce que je vais faire ? J'ai perdu un homme.

- Retourne le problème mh: combien-t'en reste-t-il ?

Ce type là, s'il n'était pas un ami, je le mettrais au début de ma longue longue liste...

Un petit bout de soleil. La lumière se reflète sur Paris mouillé. La théière est finie. Je brosse mes cils au mascara waterproof. Tout à l'heure, je sortirai patauger dans les flaques, dire bonjour d'un regard aux gens qui passent, faire cadeau de sourires. Je goûterai cette vie sur un fil où je me sens si complètement libre. Et plus tard, à la nuit tombée, j'irais me glisser dans la soie des délicatesses amicales.

mh,

" N'est-ce pas de la faiblesse que d'écouter les plaintes de l'enfant en nous ? Il ne cessera jamais de se lamenter jusqu'à ce qu'on le console, qu'on lui réponde. L'enfant exige d'être compris ; alors il se tiendra tranquille à l'intérieur de nous, ainsi que nos peurs. Il mourra en paix et nous lèguera ce qu'un enfant lègue à l'homme qui doit survivre : le sens du merveilleux. "
Anaïs Nin, Le Feu.

- Malie, tu crois que c'est Planton qui a inventé l'amour platonique ?

Mon amie et moi marchons au bord de la Seine avant d'entrer dans le cinéma. L'eau est toute proche. Je m'étonne que les gens autour de nous n'y plongent pas, enivrés par sa proximité immense et molle.

- mh, ne me parle plus de Grecs !
- Oh ! J'oubliais, je suis désolée.
- C'est exactement comme avoir une relation avec un eunuque.
- Pardon ???
- L'amour platonique. Au début tu espères. Tu ne te doutes de rien. L'amour monte, monte et tu te rends compte que c'est un eunuque.
- Tu l'aimes encore le... l'hellène ?
- Il est marié. Les hommes mariés non là j'arrête ! Déjà que ce n'est pas facile dans la même ville alors à des milliers de kilomètres... Ah! Non plus jamais. Je te jure, PLUS JAMAIS. Il faudrait qu'il me passe sur le corps !
- Nikos ?
- Toi, fais pas ta maligne !
- Malie, les femmes de mon acabit se tiennent coites, ne font jamais leur maligne et écoute respectueusement leurs aînées... de quelques heures.
- Bien bien. Je le connais le platonique ?
- Non. Le mieux serait que je l'oublie... j'ai pensé à l'empoisonner aussi. Une pastille en couleur, un truc, je lui raconte que c'est du Viagra pour platonicien quelque chose de... grec.

Malie secoue la tête. Elle part d'un rire contagieux que j'attrape à mon tour. Les passants se retournent.

- Vivement l'été, dis-je calmée, serrant mon manteau contre moi, il y aura du soleil. On se fera inviter à dîner par des beaux garçons devant les bateaux. Ils réapprendront à nous dire des mots doux dans la lumière.

La nuit tombe. Les gens se regroupent sous les affiches.

- Viens, le film commence dans cinq minutes, annonce Malie.

Nous rejoignons la file qui se meut lentement et se dissout derrière les portes transparentes.

mh,

- Il y a la SARL, l'EURL, la SA, la EI, vous pouvez vous inscrire à l'URSAAF ou au RC le RC c'est mieux pour vous. Il y aura juste les statuts, les frais d'inscription, l'INPI, vous avez établi le prévisionnel ? Et l'étude de marché, vous ne pouvez pas commencer sans une étude de marché.

Je ne dois pas être faite pour ce monde. Non non non. Le monsieur en vert y a l'air parfaitement adapté lui. Au fur et à mesure que je m'empêtre dans la présentation de mes projets, il prend une assurance paternelle et essaie de ramasser les morceaux de mon esprit qui flottent ça et là dans le bureau.

J'ai envie de partir en courant, loin, sur une île ou une autre. Planter des choux, vivre en tout petit presque invisible.

- Vous comprenez ? Le statut c'est le toit de la maison. On l'étudie à la fin. C'est à vous de voir, réfléchir, évaluer. Si vous ne parvenez pas à réunir le capital, il faut vous poser des questions sur la viabilité de votre projet et reprendre point par point.

Je rentre et je me suicide. C'est ça, je respire un grand coup et je passe par la fenêtre. Comment est-ce que l'on peut réussir à garder sa sérénité, parler aux arbres avec des chiffres des études de marché et des prévisionnels dans la tête ?

- Parlez-aux... Vous voulez un café ?

OUI je veux un café. Même si le café ne me vaut rien. Même s'il me rend saoule. Le soir, quand je m'installe sur les coussins zens, le plat pour les genoux et le rond pour mon séant (comme ils écrivent dans les livres distingués), je respire lentement, j'écoute le vide et rien.
C'est la faute de l'homme au pull vert, il me darde de ses ondes vertes. D'ailleurs je n'aime pas le vert. Et ça c'est à cause d'Orlyouest, de ses fichues superstitions familiales. En plus cette idiote d'Orlyouest me boude. Tout ça parce que je ne peux pas "enfiler une robe" en moins d'une demi-heure, pour l'accompagner faire du shopping. Tu sais ce que t'es Orlyouest ? Une RÂLEUSE, AVEC UN SALE CARACTÈRE, tu vas avoir un groin qui va te pousser si ça continue. Quoi je ferais mieux de m'occuper du mien ? OUI parfaitement PARFAITEMENT que j'en ai un aussi, mais le mien c'est un groin retenu, tandis que le tien, c'est un groin dilaté ! Ça fait TRENTE ANS que j'aurais du te le dire.
Voilà, là, c'est dit.
Et COUILLE D'HIRONDELLE TOI MÊME !!!

Qu'est-ce qu'il va rajouter le dispensateur d'ondes nuisibles maintenant que je suis de mauvaise humeur ? Hein ? On n'a pas idée aussi de venir à un RV vêtu d'un pull abominablement vert. Cela rendrait maboule n'importe qu'elle jeune fille (sic) sensible. Oui je le sais vous avez raison monsieur le conseilleur ! Oui, il faut que je réagisse, que je me remue, que je m'organise, que je me réunisse !

Alors d'accord, soyons efficace...

Si je tombais amoureuse ?

mh,