- Faut que j'arrête avec la lavande.
- Qu'est-ce qui se passe avec la lavande ?
- Avant je la brûlais, après je l'étalais, maintenant je la mange.
- Ah bon, c'est bon ? Dit Jorgue qui ne m'écoute que d'une moitié d'oreille.
- Non alors ! C'est mauvais, même dans le bon miel, mais le pire c'est pas ça.
- Tu devrais être contente, tu manges bleu.
- Hé ?
- Bon dieu ! Où tu l'as foutu ton livre sur les ruptures ?
Jorgue, caché derrière le gros canapé, cherche un bouquin dans mes piles. Au début des piles il y a de la poussière (oui je sais) Elle s'agrippe à ses cheveux. Dans cinq minutes si je m'écoute, je vais avoir honte.
- Je te préviens, tu me refais les piles comme elles étaient. Les livres en haut, je les ai pas tous lu.
- Le livre sur les ruptures, il est où ?
- T'as rompu avec qui ?
- Ce n'est pas pour moi c'est pour ... un ami.
- Le livre des ruptures il doit être entre : " À quoi sert le couple " et " Comment supporter sa liberté ".
- Non, ça y est, je l'ai. Il était entre " Justine ou les malheurs de la vertu ", et " Confession amoureuse ". Tu devrais faire attention où tu ranges tes livres, ils risquent d'attraper de mauvaises influences.
Si tu savais ou j'ai rangé la bible...
Je fais tomber deux gouttes de lavande dans une cuillère à café de miel, je remue et j'avale le tout avec une grimace monstrueuse.
- Lavande ?
- Berkeupeu ! Oui.
- C'est pas dangereux d'avaler ça ?
- C'est un peu comme si j'ingurgitais 6 kilos de fleurs d'un coup.
- Ça pourrait être pire si tu les avalais à la fourchette. 6 kilos de lavande en salade. Tu me fais un thé ? J'ai des brownies.
Jorgue le merveilleux, le somptueux, le superbe, le généreux Jorgue, sort de son sac à dos les deux brownies qu'il a réussi à extorquer à la boulangère. Il a rasé ses cheveux il y a quinze jours. Il a tout bonnement un de ces airs d'homme à femme sombre aimable et un rien macho qui ferait se pâmer toutes les femelles des 12 planètes. Si vous saviez à quel point parfois, j'adore être l'amie de cet homme. Surtout lorsqu'il enlève le pull qui lui tient chaud, et que son tee-shirt un peu court remonte sur son estomac (Tout le monde sait que je me damnerais pour une tablette de bon chocolat... y'en a qui suivent).
- Jorgue tu ne m'en veux pas si je te fais de la verveine ? C'est une verveine de bonne influence, elle pousse au pied de la vierge, dans le jardin de mes parents.
- Qu'est-ce que ça te fait la lavande ?
- Un peu comme Éva, je ne me reconnais plus dans la glace.
- Elle ne se reconnaît plus dans la glace Éva ?
- Chut, tu le dis à personne, elle a fait une opération...
- Je ne comprends rien. Tu t'es fais opérer ? Montre-moi ça.
Jorgue s'approche. Il saisit mon menton et le lève vers lui.
- Je te reconnais moi !
- Mais non, c'est de l'intérieur que je ne me reconnais plus ! Depuis que je mange de la lavande je ne suis plus pareille de l'intérieur !
-Y'a l'eau qui bout.
Je pars dans la cuisine, je verse l'eau sur les feuilles de verveine. Je mets mon nez au-dessus de la vapeur pour profiter du parfum. Quand je reviens sous la mezzanine, Jorgue a défait le papier qui recouvrait les brownies et les a posés sur la petite table basse. Il a ouvert sur ses genoux le livre des ruptures et le referme dès que j'arrive avec mon plateau.
Je pose le plateau sur la petite table orange. Je m'assieds sur le canapé et je rapproche le plaid de moi, oui c'est l'été, mais cet été il fait froid.
- Je t'assure ! Je me sens bizarre. Comme si j'étais toute fraîche dans ma tête.
Jorgue a entamé son brownie. Il verse la verveine. Le livre des ruptures est calé à coté de lui.
- Tu crois que c'est la lavande ?
- Qu'est-ce que ça pourrait être ?
- mh... Tu me ferais une ordonnance ?
J'observe Jorgue un instant, le nez dans sa verveine. Je me lève. Je pose ma main puis une bise légère sur son front soucieux. Je me rassieds.
- Verveine, chocolat et lavande, hein que je suis chouette comme medecine woman ?
- mh...
- Oui ?
- Non rien.
mh, (Souvenir de Jorgue)