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pluie luxembourg

  • Le cru et la pluie (re-publication de la première LMH)

    - Lâche moi mh, je ne vais pas m'envoler !
    - Tu marches trop vite.

    Il pleut. Si j'avais écouté Jorgue nous aurions pris le bus ou un métro ou pire un taxi.

    - T'es trop grand Jorgue. Il ne m'abrite pas du tout ton parapluie.
    - Prends-le.
    - Si je le prends je vais t'éborgner ; tu seras de mauvaise humeur.

    Jorgue soupire. Nous remontons Port-Royal. Passant devant la Closerie des Lilas et sous le parasol-pluie du voiturier, nous poursuivons notre chemin sur les larges trottoirs du boulevard Montparnasse. Je m'arrête devant chaque rares vitrines. Jorgue s'éloigne des magasins avec son parapluie histoire de m'entraîner dans son sillage.

    - mh, on va être en retard.
    - Tu crois que c'est une bonne idée ?
    - C'est une excellente idée.
    - Je peux te faire confiance alors ?

    Mon bras sous celui de Jorgue. Je me serre contre mon ami. J'ai l'air de traverser une jungle profonde en talons aiguilles, au bras d'un Tarzan m'abritant sous un minuscule parapluie bleu.

    - Qu'est-ce qu'il t'a dis ?
    - Que ton écriture est chaude, sensuelle, intime qu'elle lui plait beaucoup. Qu'il aimerait te rencontrer pour discuter d'un projet avec toi.
    - J'aime pas ça j'aime pas ça j'aime pas ça.
    - Ça suffit le coup des vitrines ! mh, quand on te fait des compliments tu disparais, quand on ne t'en fait pas tu râles. Qu'est-ce que tu veux ?
    - Arrêtes de me poser des questions idiotes.

    Je me détache tout soudain de lui revenant sur mes pas. Jorgue me rattrape et à son tour me tient le bras serré.

    - Ce type tu vas le voir et tu lui dis oui ! À tout ce qu'il te dit tu dis OUI, t'entends !
    - D'abord je ne le connais pas. T'as qu'à être mon agent. T'as qu'à me dire ce qu'il veut TOI !
    - Je sais ce qu'il veut. Dépêche-toi. Ne fais pas l'idiote, t'es fauchée, tu aimes écrire.

    À l'allure ou Jorgue a raison, j'ai l'impression d'avoir tout le temps tort...

    Nous progressons vers le fatal café Lounge où j'ai rendez-vous avec un inconnu. Jorgue se tait comme moi. J'aime marcher sur ce boulevard. Sous la pluie aussi. Avec Jorgue aussi.

    - Il veut quelque chose de précis.
    - Oui ?
    - Il veut que tu écrives des textes pour lui. Des textes… Enfin je ne sais pas si tu sauras faire, c'est pour ça que tu dois le rencontrer.
    - Quoi comme textes. Tu m'as dis des petites histoires.
    - Oui de petites histoires. Tu sais Anaïs Nin…
    - Tu aimes Anaïs Nin ?
    - Je ne t'ai pas dit que j'aimais, je t'ai dis que…Anaïs Nin en écrivait aussi des petites histoires comme ça.
    - Elle écrivait son journal Anaïs… J'écris pas mon journal du tout !
    - On arrive c'est là, l'auvent blanc
    - T'as qu'à te cacher derrière le parapluie et tu me dis qui c'est, je veux voir ça tête.
    - Commence pas mh !

    Jorgue s'arrête juste avant le café, il se retourne vers moi et me regarde dans les yeux.

    - Ce type veut que tu lui écrives des histoires… crues.
    - Il veut publier mes histoires si ce sont des histoires crues ?
    - Oui.
    - Il va me payer ?
    - Si ce que tu écris lui plait.
    - Pourquoi tu me le dis là maintenant ?
    - J'avais peur que tu ne veuilles pas le voir.
    - Parfaitement je veux le voir. Il est où ? Approche, t'as qu'à rester derrière le parapluie.
    - Le grand maigre avec un chapeau, il vient de s'asseoir.
    - POUARGGGGGGGGGGGG ! Ce type là veut que je lui écrive des histoires crues ??? Je pourrais jamais écrire des histoires crues en imaginant que le bonhomme sous le chapeau va les lire.
    - Il faudrait qu'il soit comment pour que tu puisses les écrire ?
    - Pas comme le bonhomme maigre. D'ailleurs je préfère ne pas imaginer la tête des gens qui lisent mes histoires.
    - Je les lis bien moi.
    - Oui mais tu ne me payes pas pour écrire des histoires crues.
    - Si je te le demandais ?
    - Jorgue, c'est pas drôle... Et puis je n'en veux pas de ce rendez-vous.

    Mon ami se détache de moi. Il avance vers la porte du café. Il plie le petit parapluie et le glisse tout mouillé sous son bras.

    Je reviens vers Port-Royal. Devant la Closerie j'hésite à peine avant de tourner à gauche. Je longe l'institut d'art. Je passe le grand portail vert du Luxembourg. Je ne croise personne.
    Mes cheveux sont mouillés. Je tire une chaise sous un arbre. Je passe ma main sur l'assise pour en chasser l'eau. Je m'assieds sur le rebord. Je lève la tête.
    J'imagine que je suis transparente, que je tombe goutte à goutte sur les arbres.

    mh,

    A lire "Paris est une fête" Ernest Hemingway.

    Catégories : La lettre de mh 4 commentaires Imprimer Pin it! Lien permanent