- Y’a des moments je me demande si je vais pas me laisser enlever par les extra-terrestres. Ça me va ?
- Pas mal.
- Seulement pas mal ?
- Très bien.
Je me tourne devant le miroir pour mieux voir mon dos et ce qui en résulte.
- Je crois que j’ai grossi.
- Non je te dis ça te va.
- C’est pas que ça me va qui dis que j’ai pas grossi !
Jorgue assis sur le canapé, absorbé par la lecture des journaux, regarde d’un œil distrait mes virevoltes d’essayeuses et fait mine de s’intéresser à la conversation.
- Ils t’ont déjà contactés ?
- Qui ça ?
- Les extra-terrestres.
- T’as de ces questions.
- C’est quoi toutes ses plaquettes de chocolat sur la table de la cuisine. Ne me dis pas que tu fais des réserves ?
- Si parfaitement. Je suis en concurrence avec un autre amateur dans le quartier. Il mange toutes les plaques de la boulangère que je n’achète pas. Je prends de l’avance. Peut-être, ils me préféreront grosses.
- Qui ça ?
- Les extra-terrestres, tu m’écoutes quand je parle ?
- Oui.
- Oh c’est agaçant, on fait tout pour pas en parler. Comme si c’était tabou ou quelque chose dans le genre.
- Disons que ça donne envie de vomir, fait Jorgue avec une moue peu ragoûtante. Il s’étire, plie les journaux et les jette sur le tas à journaux contre le fauteuil.
Je prends un air anodin que débusquerait le moindre humain un peu attentif avant de demander :
- Jorgue, ça te donne pas envie d’autre chose à toi ?
Jorgue penche un instant la tête en arrière comme si le plafond devenait passionnant puis il adopte un drôle de regard fixe dans le genre « pourquoi n’y ai-je pas songé plus tôt, finalement tout bien pesé, etc. »
Je jette un rapide coup d’œil au miroir pour vérifier que ne s’inscrit en lettres de feu au-dessus de mon crâne: « Attention dernière femme de la planète à consommer sans modération ». Rassurée, je me laisse contempler par le seul homme de la planète sous ma mezzanine.
Jorgue se lève brusquement. Il s’approche à deux millimètres. Mon nez se retrouve à hauteur de sa poitrine au carré. Je ne vous parle même pas de son odeur de type parfumé à l’homme propre et à l’eau de Cologne fine. Je ferme les yeux une seconde. Il passe un bras haut au-dessus de ma tête. Il repousse un pull sur le point de tomber d’une étagère. Il se baisse ensuite, coupant avec ses dents un fil sur la couture de la jupe que j’essaye. Un peu surprise -un homme à mes genoux surtout Jorgue c’est pas tous les jours- j’implore silencieusement les extra-terrestres de ne pas me télé transporter tout de suite malgré mes récentes prières. Par la même occasion, je supplie mon cerveau de ne pas réfléchir aux conséquences de mes actes futurs
Un homme pareil, juste avant la fin du monde, c’est-y pas une merveille ?
Dire que j’ai failli gâcher…
mh,
(Souvenir de Jorgue)