La barmaid qui nous servit les planteurs et les bières, avait une chevelure blonde lisse un peu abîmée et des yeux cernés.
Orlyouest et « l’assassin » ne la voyaient pas. Ils n’avaient d’yeux que pour la chanteuse qui s’égosillait sur la scène dans son petit haut écailles de poisson et son pantalon en cuir noir.
Entre le temps ou nous avions discuté avec elle pendant la balance, et le début du concert, elle avait enlevé son pull et mis du rouge sur ses lèvres. Cette femme longue musclée et plutôt masculine bien que fine, ne m’émut pas le moins du monde quand elle chanta. Elle me semblait techniquement au point, mais « absente ».
- Alors, fit Orlyouest à mon oreille.
- Les musiciens sont très bien.
- Et elle, elle a quelque chose ? Hein!
- Bouairffff………
- Hein ! Tu ne trouves pas qu’elle a quelque chose ? Elle est belle non ?
- Bouairfffff……..
Orlyouest se tourna vers moi.
- Alors tu n’aimes pas ?
- Les musiciens…
- Ah ! T’as flashé sur le guitariste.
- C’est pas une histoire de guitariste. Il joue lui, elle, elle retient tout.
- Mais… Mais graphiquement elle est belle non ? J’aimerais bien la dessiner.
Non je ne la trouvais pas belle, les musiciens jouaient bien. Je fus même projetée quelques secondes au paradis de la musique, puis elle se remit à chanter…
- On est pas obligé d’aimer les mêmes choses Orly.
« L’assassin » toujours sarcastique et sur de son fait lâcha : « mh est jalouse. »
La barmaid revint à l’entracte, souriante et à l’aise dans son décor, femme de chair, de gentillesse, d’humanité et de féminité.
La soirée calme continua, et en me ramenant, Orlyouest grilla quelques feux rouges dans l’enthousiasme créé par les planteurs successifs
Rentrée dans mes pénates, alors que je brossais énergiquement mes dents -j’adore réfléchir en me brossant les dents- je me demandais ce qu’Orly trouvait à cette chanteuse et ce que je ne lui trouvais pas, je voulais creuser aussi pour savoir si d’une quelconque manière j’étais jalouse.
Comme m’avait dit Orlyouest, elle ressemblait effectivement à un de mes anciens amis, un de ceux que j’appelais désormais les « Hommes de papier » un de ses humains souvent beaux mais complètement coupés de leur sensualité et de leur propre réalité, vides, insensibles aux autres et semblant toujours cyniquement opportuniste.
- Pour une femme de plume, des hommes de papier, c’est intéressant, m’avait dit un jour Orlyouest.
La mousse dentifrice aux lèvres, alors que je tentai d’aboutir ma réflexion avant la fin des trois minutes réglementaire au brossage des dents, je vis l’image qu’Orly pourrait créer, image parmi d’autres d’une bd. Cette femme de papier, plaquée par le crayon d’Orly, la bouche rouge, un bras levée, les écailles brillantes de son petit haut, l’énergie graphique qu’Orly voyait en cette femme devant des musiciens à peine esquissés, parfait personnage enfermé dans son cadre.
Je reposais enfin ma brosse à dent, et lançait un sourire chevalin au miroir. À ce spectacle, j’en vins à me demander si la sensibilité qui me permettait d’apprécier ainsi le talent d’une artiste, ne se concentrait pas, en ma personne, exclusivement au niveau des gencives…
Commentaires
:)) tu avais surement raison quant au fait qu'elle "retenait": je ne me souviens pas du tout de cette chanteuse... tu avais quelques bonnes années d'avance ! c'est maintenant les moments que je recherche, ceux où l'artiste se lâche, où il se donne à voir. pas facile à ressentir pour moi à l'époque, puisque dans mon travail, la technique était payante mais que je retenais tout ;) boulot oblige ! maaa j'ai fini par t'entendre, maintenant c'est dur, mais je m'éclate tout les jours un peu plus lalali. dommage que ton brossage de dents ne dure que 3 minutes, j'en aurai bien lu un peu plus ;) bise