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Une heure, une histoire: "Roses"

Mes devoirs : Une histoire en une heure, pas plus pas moins. Bonne lecture !

J’ai toujours aimé la pluie.

Aujourd’hui elle ne tombe pas vraiment en averse drue comme je la préfère. Elle vient, puis repart en douce.
Le ciel est mi-figue mi-raisin, mi-bleu mi-gris foncé et même si j’aime la pluie parfois je me rends compte comme le temps influence mon humeur.

 Yvan est partie à l’aube. Il n’a pas pris de parapluie même pas l’imperméable jaune qu’il affectionne et que je trouve horrible. Il est parti avec un mince pull sur les épaules. Il est de ceux qui font confiance au calendrier. L’été c’est l’été, « je ne vais tout de même pas mettre un pull en été ». S’il meurt de froid dans la journée il ne l’avouera pour rien au monde. J’aime Yvan. Si de cela je suis capable, j’aime Yvan un peu comme la pluie, même comme les averses drues.

 Son existence demeure pour moi un apaisement continuel. Je lui sais gré de réagir toujours avec intelligence et compréhension à mes sautes d’humeur.

Yvan parti, j’amène avec moi la théière et le mug de thé chaud dans le salon et je me repose devant la baie vitrée. Derrière, les roses alourdies d’eau penchent leur tête délicate, et ce spectacle silencieux embellit la journée.

Ce n’est pas que j’aie voulu tout cela, la maison, Yvan, les roses. Je ne sais pas bien vouloir. Mais cela est venu. Cela est venu, Yvan est venu et « cela » est venu avec lui, sans effort. Je ne me souviens plus comment. Il paraît que l’on oublie les moments où l’on vit vraiment, où l’on est présent.

 Je suis présente. Le mug est chaud ; presque brûlant encore dans ma main. Les roses bougent doucement puis baissent leur tête d’un coup comme si elles avaient mal quand les gouttes d’eau de la gouttière les frappent de plein fouet.

 Quand Yvan reste assis à mes côtés, je suis encore plus présente, encore plus sensible, aussi sensible que je peux l’être. Je ne me rends même pas compte que ce moment est précieux. Il est précieux plus que des roses comme des diamants, plus que la maison, plus que l’argent en banque, plus que toute ma vie. Ce moment-là est mon trésor. Yvan ne le sait pas.

Yvan ne m’a jamais posé de questions. Yvan n’aime pas les réponses. Il trouve qu’elles ne sont pas suffisantes.

Au début, j’avais du mal à ne pas lui dire ce que j'imaginais qu’il souhaitait connaître de ma vie. Ce n’est pas qu’il n’ait pas voulu entendre. Il sait que je suis là et que je regarde les roses. Cela lui raconte assez de moi.

Derrière les roses maintenant il y a une femme, une femme avec un regard qui fait mal. Cette femme, c’est du mal qu’elle veut me faire. Je le vois dans ces yeux. Elle pourrait être une belle femme, mais ces traits sont tirés par la haine, comme avalés et détruits par celle-ci. Cette femme ne veut simplement pas que j’existe. La regarder me rendrait malade si j’en avais le temps. Je ne sais pas ce qu’elle va faire. Elle cache la lumière derrière les roses. Elle me fixe de son regard effrayant. Le corps de la femme rend la lumière plus froide sur les roses. Et puis quelque chose bouge, j’aperçois la silhouette d’un homme qui arrive à toute vitesse dans le dos de la femme. C’est un homme, et plus il avance et plus je vois qu’il ressemble à Yvan.

La femme ne me quitte pas des yeux. Je le reconnais, elle est de ces femmes qui se croient trahies par une d’autres qu’elles-mêmes. Un jour, elle a dû être une femme qu’un homme a aimée. Peut-être était-ce Yvan. Yvan qui a caressé ses cheveux, son visage, Yvan qui embrassait ses lèvres.

Yvan est derrière la femme juste derrière elle. Il l’attrape par les épaules, il l’a fait pivoter. Je ne veux pas entendre ce qu’ils se crient, ce n’est pas pour moi, ce n’est rien, ce n’est rien. La femme gifle Yvan et Yvan gifle la femme très fort. La femme se penche en avant brusquement comme si elle se brisait puis tombe à genoux, elle entoure les genoux d’Yvan de ses bras. Il ne dit rien, je crois, elle ne pleure pas. Mais Yvan se dégage brusquement, et la femme tombe de tout son long devant lui.

Yvan ne cache pas la lumière et la femme est tombée. Les roses sont éclairées comme tout à l’heure, à l’heure où elles embellissaient ma journée. Yvan de l’autre côté de la vitre regarde la femme à ses pieds, puis relève la tête devant moi. Il a attrapé cette haine et ce dégoût dans le regard que portait cette femme.

Je n’ai jamais su prévoir ce que je ferais demain, tout à l’heure, dans un an. Je suis allée laver le mug dans l’évier de la cuisine. J’ai entendu deux voitures démarrer. Puis plus rien. La pluie s’est mise à tomber plus fort. C’était comme un signal.

J’ai mis mes livres dans une valise, mes vêtements dans la plus grosse. J’ai appelé un taxi. Je suis sortie. J’avais ouvert mon grand parapluie bleu. J’ai marché jusqu’aux roses, j’ai senti leur odeur de pluie, j’ai caressé les pétales de la plus belle. Le taxi est arrivé. Je suis partie.

 

(c) mh,

Catégories : Textes courts 0 commentaire Imprimer Pin it! Lien permanent

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